La saisie conservatoire des navires

Le navire en tant que bien fait partie des éléments constitutifs du gage commun des créanciers de son propriétaire débiteur. Ce qui correspond aux règles les plus élémentaires en matière de sûretés selon l’article 2285 du code civil.

Aux rangs des moyens dont disposent les créanciers pour obtenir le paiement de leurs créances figurent les saisies, en l’occurrence la saisie conservatoire.

Si la nature de la créance cause peut dans le principe  être indifférente, il est parfois exigé qu’elle revête des caractéristiques particulières pour que la saisie soit admise.

Avant toute analyse sur les contours de cette saisie, il convient de préciser la notion de navire pour éviter toute confusion qui pourrait être faite avec d’autres textes applicables à la saisie conservatoire d’autres engins qui ne peuvent être qualifiés de navires.

Aux termes de l’article L 5000-2, I du code des transports, le navire est défini comme :

« 1° Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ;

2° Les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime, affectés à des services publics à caractère administratif ou industriel et commercial. ».

Le navire est donc différent des engins non destinées à la navigation maritime définie à l’article L 5000-1 du même code. Il s’agit notamment les bateaux affectés à la navigation intérieure.

Cette précision a le mérite de faciliter la compréhension de l’exclusion de notre analyse de certaines règles de la saisie conservatoire de droit commun qui demeure le dénominateur commun à toutes les saisies conservatoires.

Par ailleurs, le navire étant un moyen de transport utilisé dans le commerce maritime très marqué par son caractère international, la saisie conservatoire peut reposer sur des textes de droit international spécialement la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 sur la saisie conservatoire des navires de mer.

La saisie conservatoire des navires est si paralysante pour l’activité du créancier qu’elle est plus un moyen de pression pour obtenir le paiement des créances qu’un préalable à une mesure d’exécution forcée.

1- LES EXIGENCES DE FOND

a- En droit interne

Le droit commun exige que la créance cause d’une saisie conservatoire soit simplement fondée en son principe : article  L. 511-1 du Code de Procédure Civile d’Exécution (CPCE).

Cette règle est reprise par l’article L 5114-22 du code des transports en ce qu’elle se contente d’une créance qui paraît fondée en son principe. Le créancier n’est pas tenu de justifier d’une créance certain. Il n’est pas exigé que le recouvrement de la créance soit en péril non plus.

Bien que soumise aux dispositions du code des transports prévues à cet effet, la saisie conservatoire des navires se voit appliquer les dispositions du droit commun telles qu’issues du CPCE, sous réserve de l’application des conventions internationales en la matière : article R 5114-15 du code des transports.

La créance cause peut être  de nature maritime ou terrestre. Elle n’est pas nécessairement liée à l’exploitation du navire objet de la saisie.

Si l’urgence n’est pas une condition de validité de la saisie, le créancier doit, néanmoins, obtenir une autorisation  du juge, même s’il est détenteur d’un titre exécutoire : Com. 4 mars 2014 n°13-10.092 P. C’est une des spécificités de la saisie conservatoire des navires. En effet, le droit commun n’exige pas d’autorisation pour le créancier muni d’un titre exécutoire : article L 511-2 CPCE.

Relativement au navire objet de la saisie, il doit appartenir au débiteur : Civ. 1ère 4 février 1986, 84-16.453, P. C’est le bien du débiteur qui constitue le gage de ses créanciers qui peuvent le saisir: article 2284 du code civil.  La saisie peut porter sur une partie  du navire : Com. 13 janvier 1998, 95-15.497 95-15.498, P ou même sur un navire en construction . Il est bien entendu que certains navires échappent à la saisie en raison de l’immunité d’exécution dont bénéficient leurs propriétaires personnes morales de droit public en dehors des opérations commerciales : Civ. 1ère 14 mars 1984, 82-12.462, P.

En matière de copropriété de navire, si les créanciers d’un débiteur majoritaire d’une copropriété de navire peuvent être autorisés à pratiquer une saisie-exécution  ( Article L 5114-47 code des transports) sur le navire, les textes sont muets quant à l’admission de cette saisie en matière de saisie conservatoire. Une partie de la doctrine ne trouvent pas de raisons qui pourraient justifier la non-application de la même règle  à la saisie conservatoire.

b- En droit international

La saisie conservatoire des navires peut reposer sur le droit international, plus précisément sur la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles en matière de sur la saisie conservatoire des navires de mer. Applicable dans tous les États contractants et à l’égard de leurs navires, elle l’est aussi à l’égard des navires battant pavillon des États non contractants du fait de leur saisie autorisée par une juridiction d’un État contractant. C’est ce qui ressort de l’article 8  de cette convention.

Toutefois, cette saisie ne peut être pratiquée que pour une créance maritime  dont la définition est donnée à l’article 1er de la convention. Sinon, il faut s’assurer de l’application du droit interne, en l’occurrence le droit Français pour procéder à la saisie. Une créance simplement alléguée devrait suffire : Com 12 janvier 1988, n° 85-17.890, P. Même une créance prescrite peut justifier une saisie :  Com. 7 mars 2006 n°  05-15.906 P.

Une liste de créances de nature maritime est dressée par l’article 1er  par la convention. Il s’agit des créances relatives au transport de marchandises : Com. 19 mars 1996, 94-10.838, P, à la fourniture de matériel et produits pour l’exploitation du navire : Com. 8 mars 2017, n°15-21.571 , au salaire et débours du capitaine :  Com. 10 mai 1989, 87-11.779, P, à la propriété contestée du navire : Com. 28 juin 2016, 15-18.618, P entre autres.

Tout comme en droit interne, le péril du recouvrement de la créance  et l’urgence ne sont pas des conditions requises pour une saisie conservatoire. Le caractère certain et sérieux de la créance non plus : Com. 12 janvier 1988, n° 85-17.890, P.

Le navire saisi peut ne pas être celui auquel se rapporte la créance. En effet, suivant l’article 3 de la convention, il peut s’agir d’un autre navire du propriétaire dès lors que la créance se rapporte à un navire dont il était propriétaire : Com. 23 novembre 1999 n°97-18-916 P. S’agissant d’un navire affrété avec gestion nautique, le créancier de l’affréteur peut le saisir ou saisir tout autre navire de l’affréteur. (Article 3.4 de la convention).

Il convient de préciser qu’en cas d’affrètement coque nue, le navire peut être saisie pour une créance née de son exploitation, bien que l’affréteur ne soit pas le propriétaire. Cette exception est liée à la gestion nautique du navire qui est transférée à l’affréteur.

En matière  d’hypothèque ou de créance résultant d’une contestation sur la propriété d’un navire, seul  ce navire concerné peut faire l’objet de saisie.

Par ailleurs, un même navire ne peut faire l’objet de plus d’une saisie conservatoire à la fois devant les juridictions de plusieurs États contractants : Com. 8 mars 2011, 10-11.958, P.

Quant au navire vendu, seul  une créance privilégiée au sens da la loi du for peut justifier une saisie : Com. 4 octobre 2005, 02-18.201, P.

En matière d’exploitation de navires, la personne morale exploitant un navire devient seule propriétaire du navire. Seuls ses créanciers peuvent saisir le navire. Cependant, l’utilisation des « single ship companies » pour l’exploitation d’un navire peut être un outil de fraude par la fictivité. Aussi, la jurisprudence, bien qu’elle reconnaisse la légalité et la légitimité du mécanisme, peut autoriser la saisie d’un navire  apparenté lorsqu’il est démontré que la personne morale est une façade qui couvre une confusion d’intérêts : Com. 14 juin 2016 n°14-18.671. La preuve de la confusion de patrimoine et de la  fictivité sont donc indispensables pour entreprendre la saisie conservatoire d’une navire apparenté: Com. 19 mars 1996, 94-10.838, P, Com. 23 novembre 1999, 97-18.916, P.

2- LES EXIGENCES DE FORME

Il n’existe pas de procédure spécifique suivant que la saisie est  pratiquée sur le fondement du droit interne ou de la convention de Bruxelles, même si certaines précisions méritent d’être relevées en droit international. Une autorisation de saisie est obligatoire et doit être accordée par le juge de l’exécution : article L511-3 CPCE ou le président du tribunal de commerce du lieu où se trouve le navire : article R 5114-16 code des transports,  article L 721-7 du code de commerce . Sur la compétence, la convention de Bruxelles l’entend comme celle du juge compétent de l’État dans lequel la saisie est pratiquée : Com. 5 janvier 1999, 93-19.688, P.

A la suite de la saisie, le créancier devra notifier la saisie au débiteur ainsi aux services compétents du port article R 5114-19 Code des transports. Il devra également saisir le juge du fond pour obtenir un titre exécutoire s’il n’en détient pas encore un et ce dans un délai d’un mois à compter de la saisie : Com. 14 octobre 1997, 95-17.706, P . Cette dernière exigence est d’ailleurs prévue par le droit commun en ses articles L 511-4 CPCE et R 511-7 CPCE.

La saisie peut être contestée. La contestation visant à obtenir la rétractation de l’autorisation de saisie ou la mainlevée se fait devant le juge de l’exécution . La constitution d’un fonds de limitation ou la fourniture d’une garantie délivrée généralement par les assureurs sont les moyens qui permettent d’obtenir la mainlevée : Com. 23 novembre 1993, 91-17.258, P.

Par ailleurs, dans certains cas limitativement énumérés par la convention de Bruxelles ( Article 7, 1°),  les tribunaux de l’État dans lequel la saisie a été pratiquée seront compétents pour statuer sur le fond du litige. C’est notamment le cas où le demandeur a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l’État où la saisie a été pratiquée, la créance maritime est elle-même née dans l’État contractant dont dépend le lieu de la saisie, le cas d’une créance née au cours du voyage  pendant lequel la saisie est pratiquée : Civ. 1ère 18 juillet 2000, 97-22.448, P entre autres.

3- LES EFFETS DE LA SAISIE

Le principal effet d’une saisie conservatoire est l’immobilisation du navire : article L 5114-21, alinéa 1er  code des transports.  C’est d’ailleurs le sens que l’article 1er (2)  de la convention de Bruxelles donne au mot «  saisie ». La saisie conservatoire est un moyen efficace pour le créancier d’obtenir le paiement de sa créance, puisqu’elle permet d’obtenir des garantie généralement fournies soit sous forme de constitution de fonds de garantie soit par l’assurance  ( P &I club ) de l’armateur.

4- QUE FAUT-IL RETENIR ?

  • La saisie conservatoire d’un navire exige une autorisation du juge même si le créancier détient un titre exécutoire.
  • Le créancier n’a pas besoin de justifier du péril du recouvrement de sa créance ou de l’urgence.
  • La saisie ne peut porter que sur le navire du débiteur.
  • Une saisie fondée sur le droit international doit reposer sur une créance maritime.
  • Une saisie sur le fondement du droit international peut porter sur un autre navire que celui auquel la créance se rapporte ou même un navire apparenté.
  • La saisie d’un navire pour une créance de l’affréteur est admise lorsqu’il y a eu transfert de la gestion nautique du navire.
  • Dans le cadre d’une saisie sur le fondement du droit international, le forum arresti peut être compétent pour statuer sur le fond du litige.
  • La saisie conservatoire, quel que soit son fondement, entraine l’immobilisation du navire.

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